Les années 1970 (2e partie)

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Le Plan Bacon marque le début d’une période difficile pour les garderies populaires: elles ne perçoivent plus les subventions directes pour les salaires que leur assurait le programme Initiatives locales et le niveau de financement qu’offre le Plan Bacon est insuffisant, ce qui les oblige à augmenter la participation financière des parents. Plusieurs garderies éprouvent alors de sérieuses difficultés et doivent fermer leurs portes. Les garderies sans but lucratif qui réussissent à survivre le font difficilement, grâce au bénévolat des parents et des employé-es. Elles n’arrivent pas à se constituer un fonds de roulement et vivotent au jour le jour, de prêt en prêt. Peu de parents reçoivent une subvention et leur contribution financière ne suffit pas à couvrir les frais d’opération: le personnel est fort mal payé.

Cette tension entre l’exigence de tarifs modérés pour les parents et la nécessité de conditions de travail décentes pour des employé-es traversera toute l’histoire des services de garde au Québec.

Le débat sur la question de la responsabilité collective de la garde à l’enfance refait ainsi surface. La mobilisation se poursuit au sein des garderies populaires, du mouvement des femmes, du milieu communautaire et des centrales syndicales. En juin 1975, une conférence de presse est organisée conjointement par une douzaine d’organismes, des mouvements politiques, les centrales syndicales, la Ligue des droits de l’homme et le Parti québécois afin de demander la révision de la politique adoptée en 1974.

Pressée de toutes parts, la ministre Lise Bacon promet une réévaluation du programme d’aide aux garderies. En 1975, celle-ci crée le Service des garderies. L’organisme, qui relève du ministère des Affaires sociales, a pour mandat de favoriser l’implantation de nouvelles garderies et de fournir une aide technique aux garderies existantes.

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Un nouveau gouvernement, quelques gains appréciables

L’année 1976 est celle où le Parti québécois est porté pour la première fois au pouvoir. Donnant suite à ses engagements, le nouveau gouvernement augmente l’aide financière destinée aux parents et hausse le niveau des subventions allouées à l’aménagement et à l’équipement. Une subvention de démarrage est aussi accordée aux garderies sans but lucratif qui désservent les milieux défavorisés et un fonds de dépannage est mis à la disposition des garderies.Enfin, le gouvernement crée le Comité interministériel sur les services d’accueil à la petite enfance, lequel est chargé d’élaborer une politique d’ensemble visant le développement de services de garde mieux adaptés aux besoins de la population.     Au cours des années qui suivent, plusieurs regroupements de garderies voient le jour et la plupart deviennent membres du Regroupement des garderies sans but lucratif au Québec (RGQ) fondé en 1978. Un autre regroupement indépendant, SOS garderie, existera parallèlement à cette organisation et mènera, de la fin des années 1970 jusqu’à 1982, des luttes très dures afin d’avoir accès à des locaux gratuits dans les écoles désaffectées de Montréal.

 

Une politique qui marque un point tournant

En février 1978, le Comité interministériel sur les services d’accueil à la petite enfance dépose un rapport et, en octobre de la même année, le conseil des ministres entérine la nouvelle politique. Celle-ci prévoit que les services de garde seront désormais financés conjointement par les parents, en fonction de leurs revenus, et l’État. De plus, l’on favorisera les organismes sans but lucratif dont le conseil d’administration est contrôlé par les parents. Fait sans précédent, les premières subventions de fonctionnement versées directement aux garderies sont instituées; il s’agit d’une allocation de fonds de roulement équivalant à 15 pour cent de l’aide financière accordée aux parents. Enfin, une aide spéciale pour les garderies ouvertes depuis moins de trois ans est allouée pour renouveler l’équipement et aménager les locaux. Une nouvelle étape vers la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le financement des services de garde est ainsi franchie. Mais le mode de subvention que l’on veut instaurer est vivement critiqué en raison des disparités qu’il engendrent entre les garderies desservant des parents extrêmement démunis mais, bien subventionnés et celles donnant de services à des salariés ne bénéficiant d’aucune aide financière de l’État. Dans ce dernier cas, les règles d’attribution sont telles qu’aucune subvention de fonds de roulement ne peut leur être versée, ce qui compromet l’amélioration de la qualité des services aux enfants et le rehaussement des conditions de travail des employé-es oeuvrant dans ces garderies.
Ce mode de financement, qui lie le niveau de subvention à l’aide versée aux parents, est ainsi vivement dénoncé et l’on propose que l’aide financière varie plutôt en fonction du nombre total de places en garderie.
En 1979, le gouvernement rectifie donc le tir et abolit la subvention de fonds de roulement équivalent à 15 pour cent de l’aide financière versée aux parents pour la remplacer par une subvention de 2 $ par jour par place autorisée lors de l’émission du permis.Bien que le niveau de l’aide financière demeure faible, cette réforme marque un point tournant majeur dans l’histoire des services de garde au Québec. En effet, pour la première fois, l’aide financière de l’État n’est plus fonction de la capacité de payer des parents. Désormais, les services de garde ne sont plus considérés comme relevant de l’assistance sociale et le principe de responsabilité collective est clairement établi. En 1979, un projet de loi sur les services de garde et une nouvelle politique sont annnoncés. Le gouvernement y énonce trois principes dont il faudra tenir compte dans l’organisation de ces services:

  1. La participation des parents à l’organisation et au fonctionnement des services de garde: le gouvernement entend donc privilégier les organismes sans but lucratif et les coopératives dans lesquels le conseil d’administration est composé majoritairement de parents d’enfants qui fréquentent la garderie;
  2. La liberté de choix pour les parents parmi un éventail de quatre types de service de garde: la garderie, la garde en milieu familial, la garde en milieu scolaire, la halte-garderie. Seuls les deux premiers types de service nécessitent un permis, lequel ne pourra être délivré qu’à des organismes sans but lucratif, ce qui exclut ainsi les garderies privées à but lucratif;
  3. L’accès aux services par l’augmentation des budgets et la multiplication du nombre de services disponibles.

 

Plusieurs regroupements et organisations syndicales ont émis un avis lors des audiences de la commission parlementaire chargée d’étudier le projet de loi. Si la reconnaissance de la responsabilité de l’État est accueillie favorablement, cette nouvelle politique suscite bien des réserves. Pour certains, il y a risque d’une trop grande ingérence de l’État dans les affaires internes des garderies. D’autres expriment une vive résistance au développement d’autres formes de services, telle la garde en milieu familial. Les garderies privées à but lucratif entrent en scène: elles veulent avoir accès au financement gouvernemental. Elles seront les seules à réclamer que l’Office des services de garde (OSGE), nouvel organisme proposé dans le cadre du projet de loi, leur octroie des permis.

Mais la version du projet de loi présentée en deuxième lecture suscite beaucoup de colère dans le milieu. Contrairement à ce qui était spécifié dans le projet de loi initial, le gouvernement décide finalement que l’OSGE pourra accorder des permis d’opération à des garderies privées à but lucratif. Plusieurs se sentent trahis par ce changement de position.

Rapidement, une large coalition se mobilise pour faire obstruction à l’adoption du nouveau projet de loi. Malgré cette opposition, la loi est finalement sanctionnée en décembre 1979. Même si certains aspects de cette loi ne sont pas conformes aux attentes, le milieu peut dorénavant compter sur des acquis importants.

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La présence syndicale lors de ces moments de revendication

Sans assumer le leadership des revendications, le mouvement syndical québécois, tout au long de la décennie, a appuyé le projet d’un réseau de services de garde universels et gratuits. Plusieurs faits illustrent l’assiduité des centrales à rappeler cette demande au gouvernement:

1976

Le front commun des syndicats du secteur public affirme la volonté des syndiqué-es d’obtenir un réseau complet de garderies gratuites. La même année, lors du congrès de la CSN, on ajoutera à cette revendication de base que les garderies soient gérées par les usagères et les usagers de même que les membres du personnel. Certes, on réclame un solide engagement de l’État, mais l’on ne veut rien sacrifier au caractère communautaire et participatif de ces services, un enjeu qui a perduré depuis le début des revendications.

1977

Le Comité intercentrales de la condition féminine se propose de reprendre cette revendication commune et de la préciser.

1979

 Lors des États généraux de la condition féminine, qui se tiennent le 3 mars à Québec, on propose l’adoption d’un plan d’action commun visant l’implantation d’un réseau de services de garde universels et gratuits. Dans le cadre de ce plan d’action, la CSN, la CEQ et le Syndicat canadien de la fonction publique publient conjointement un document intitulé Dossier garderies: pour un réseau universel et gratuit dans lequel sont explicités les justifications et les objectifs de cette revendication. On y rappelle les principes premiers qui devront prévaloir dans la réalisation d’un tel projet:
– l’universabilité des services;
– l’accessibilité à tous;
– un personnel suffisamment nombreux et bien rémunéré, pour qui seront facilitées les possibilités de syndicalisation;
– des ratios et des normes d’aménagement correspondant aux besoins réels des garderies;
– une gestion garantissant l’autonomie et la participation des usagers et des membres du
personnel.

En conclusion on y affirme:

Voilà des garanties que nous continuerons d’exiger comme gage de reconnaissance du droit réel au travail pour tous et de la juste répartition des tâches au sein d’une société préoccupée collectivement de sa survie et de son évolution.

S’associant à d’autres mouvements sociaux, les organisations syndicales des années 1970 défendent également le principe du mode de financement direct aux garderies plutôt qu’une aide aux parents à faibles revenus, comme c’était le cas avec le Plan Bacon.

Dans la décennie qui suivra, les interventions du mouvement syndical se déploieront simultanément sur deux fronts: celui, plus large, de l’instauration de services de garde universels et gratuits au sein d’un réseau de garderies contrôlées par les parents et les employé-es; celui, enfin, de la défense et de la promotion des intérêts plus immédiats des employé-es des garderies.

 

Extraits tirés du livre: 30 ans déjà
Caricatures: Boris