Au début des années 1970, le gouvernement fédéral instaure le programme Initiatives locales afin de financer des projets communautaires créateurs d’emplois. Entre 1972 et 1974, quelque 70 garderies sont ainsi mises sur pied, dont une trentaine à Montréal. Constituées pour la plupart en organismes sans but lucratif contrôlés par des parents usagers, ces garderies desservent des quartiers populaires, souvent défavorisés. Mais il est difficile d’assurer leur survie à long terme, les maigres subventions, renouvelables de six mois en six mois, ne visant qu’à payer les salaires. Comment assurer les coûts d’un loyer avec un tel mode de financement? Outre l’insuffisance du financement, les règles d’émission des permis d’opération enferment ces garderies dans un inextricable cercle vicieux: Québec refuse d’accorder le permis sans qu’un financement à long terme ne soit assuré; Ottawa exige l’obtention du permis avant l’octroi d’une subvention. Cette situation est propice à la montée d’une grande insatisfaction.
Le contexte des premiers élans de mobilisation
Le mouvement féministe est très actif pendant la décennie. Parallèlement aux regroupements de femmes et aux comités de la condition féminine des grandes centrales syndicales, de nouvelles organisations vouées à la défense des droits des femmes sont créées, dont deux organismes gouvernementaux: le Conseil du statut de la femme, au Québec, et le Conseil consultatif canadien de la situation de la femme, à Ottawa. Or, toutes ces organisations réclament des interventions de l’État propres à accroître l’accès aux services de garde, lesquels sont considérés comme essentiels à la mobilité sociale des femmes.
C’est dans ce contexte qu’une large mobilisation prend forme à la suite de la décision du gouvernement fédéral de mettre fin au programme Initiatives locales, en décembre 1972. La mobilisation s’organise sur deux fronts: au gouvernement fédéral, on demande que les subventions temporaires issues du programme Initiatives locales soient maintenues; au gouvernement québécois, on réclame une législation adéquate et un mode de subvention permanent. Les garderies se regroupent alors pour mettre sur pied le Comité de liaison des garderies |
populaires, lequel revendique l’établissement d’un réseau universel de garderies financées par l’État et contrôlées par les usagers. La réponse du gouvernement du Québec ne tarde pas: on refuse toute aide financière supplémentaire en prétextant, encore une fois, que la responsabilité de la garde des enfants relève des parents.
La suite des événements obligera le gouvernement à réviser cette décision. En effet, le Comité de liaison des garderies populaires organise peu après quelques gestes d’éclat: occupation des locaux de ministère des Affaires sociales et des bureaux des responsables du programme Initiatives locales; campagne d’information dans les médias, lesquels se montrent sympathiques à la cause. Le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, prend alors position: désormais, le ministère des Affaires sociales ne retiendra plus le critère de financement assuré comme une condition d’obtention du permis d’opération d’une garderie. Il s’agit d’une première victoire pour les garderies populaires. Plusieurs obtiennent bientôt leur permis de Québec, puis leur subvention d’Ottawa. |
Les centrales syndicales entrent en scène |
Le combat ne s’achève pas avec les premières concessions obtenues du gouvernement québécois et les trois centrales syndicales joueront un rôle de premier plan dans la poursuite des revendications.
Ce sont les femmes qui, au sein de leur comité de la condition féminine récemment mis sur pied, organisent la mobilisation pour les services de garde universels et gratuits. Ce mouvement est amorcé par la FTQ qui instaure, en 1972, le Comité d’étude sur la condition féminine. Quant à la CEQ, celle- ci endosse la principale revendication du Comité de liaison des garderies populaires lors de son congrès de juillet 1973. La formation du Comité Laure Gaudreault à l’automne suivant l’amène d’ailleurs à faire du problème des garderies une priorité. Enfin, la CSN emboîte le pas l’année suivante en mettant sur pied un comité semblable. Le 19 décembre 1973, le Comité de liaison des garderies populaires organise une conférence de presse conjointement avec la CSN, la CEQ et la FTQ. Il s’agit de la première intervention publique des trois centrales syndicales québécoises sur la question des garderies. Avec les garderies populaires, le Centre des femmes, qui a succédé au FLF en 1972, et l’Association pour la défense des droits sociaux, les comités de la condition |
féminine des trois centrales syndicales participent activement à l’organisation de la Journée internationale des femmes du 8 mars 1974. L’événement fait une large place à la question des garderies.
Au bilan de la décennie, la conférence de presse conjointe du 19 décembre 1973 et la journée du 8 mars 1974 doivent être considérées comme des faits marquants de cette histoire. Ainsi, près de dix ans avant la fondation du premier syndicat de garderie en 1980, le mouvement syndical québécois se joignait aux autres organisations progressistes, tels les groupes de femmes et les organismes communautaires, pour revendiquer la mise sur place d’un réseau de garderies. Cette importante mobilisation a finalement contrait le gouvernement québécois à mettre en place un programme destiné à financer en partie les services de garde. Instauré en 1974, le Plan Bacon – du nom de la ministre responsable du dossier – prévoit donc des subventions pour les parents à très faibles revenus. Ces nouvelles mesures – largement en deçà des revendications des mouvements sociaux – constituent tout de même une première étape vers la reconnaissance d’une responsabilité collective en matière de garde à l’enfance. Elles amorcent également un processus de reconnaissance de ces services. |
Extraits tirés du livre: 30 ans déjà
Caricatures: Boris
Photo: Michel Giroux